Ils sont venus, murmura t'elle. Ils ont osé venir …
Septimus jeta un coup d'oeil intrigué sur le journal que Marcia serrait dans ses poings, et il ne put réprimer un hoquet de surprise. Marcia sembla soudain prendre conscience de sa présence, et lui jeta un regard affolé.
Est-tu au courant des dernières nouvelles ? lui lança t-elle.
J'ai lu le titre de votre journal, répondit-il calmement.
Le suffixe magistral Rogonante, assistant du magistrat des affaires internes du pays des Braises, est mort cette nuit au Château
Il était ici. Et … jusqu'à sa mort, personne ne l'avait vu ? demanda timidement Septimus.
Non …
Après un instant d'hésitation, pendant lequel elle pâlit davantage, elle ajouta :
Mais le pire …
Elle designa un passage de l'article à Septimus, qui le lu en toute hâte :
« Son apprentie, Maefa Sweet, se déclare prête à prendre sa suite en tant que suffixe indépendant de l'autorité magistrale. Le scribe hermétique, mademoiselle Jillie Djinn, refuse d'exécuter les derniers voeux de feu Rogonante, qui sont pour l'heure actuelle inconnue. Maefa Sweet regrette quand à elle qu'une si mauvaise opinion de la magistrature se soit répandu au delà de leurs frontières et souhaite amenager un climat de paix. »
Ils se regardèrent un instant avec effroi. Ils avaient entendu tant de mal venant du pays des Braises qu'ils ne pouvaient croire en « l'aménagement d'un climat de paix » promit par cette Maefa Sweet. Ils ne pouvaient même pas croire, tout simplement, qu'une puissance aussi importante que celle d'un suffixe magistral ait pu pénétrer au Château sans que la Magyk en soit affectée.
Que va t'on faire ? s'inquiéta Septimus.
Attendre, répondit Marcia. De toute façon, nous ne pouvons rien faire d'autre …
Maefa Sweet était si heureuse qu'elle faillit en pleurer, lorsqu'elle apprit que le titre qu'elle occupait officieusement lui revenait de plein droit. Bien sûr, elle était attristée de la mort de son mentor, mais bien moins qu'elle ne l'aurait cru.
Mais à présent se posait à elle un autre problème : qui prendrait-elle pour apprenti ? Elle ne connaissait personne, au Château – à part ce sale gamin, Meringue Lamith, ou quelque chose comme ça, et cette abrutie de scribe hermétique – et chercher d'elle même lui parut soudain bien fatiguant.
C'est donc tout naturellement que ses pas la portèrent à la tour du magicien, où elle avait le plus de chance de trouver un apprenti à sa hauteur.
Arrivée devant ladite tour, elle ne la trouva pas particulièrement impressionnante. Le château de son maître – pardon : son nouveau château – était bien plus imposant. Mais elle fut quand même émue de se trouver devant l'endroit même où se déroulait les histoires d'horreur les plus ignobles que ses amis et elle avaient pu inventer.
Elle entra, émerveillée, dans la cour du magicien, et se présenta devant la porte, qu'elle actionna tout simplement, comme une bête porte. Et la majusteuse ouverture lui répondit comme une bête porte : en s'ouvrant simplement.
Lorsqu'elle entra, tous les regards étaient tournés vers elle et sur l'inscription au sol. Elle regarda, impressionnée, son titre inscrit sur les dalles, comme s'il avait toujours été là.
Ce « Bienvenue à la nouvelle suffixe magistrale » l'avait remontée à bloc. Elle se dit que si la Tour l'accueillait à bras ouvert, les magiciens en feraient autant.
Mais ce n'était pas l'avis de la magicienne extraordinaire, loin de là ! Elle decendit furieusement les marches et se précipita avec colère sur la nouvelle arrivante, dès qu'elle eut appris qu'il y avait un intrus à bord.
Comment ? Non seulement vous osez parvenir jusqu'à nous, mais vous entrez dans cette tour comme si de rien n'était ? Avec le sourire aux lèvres et …
Elle s'arrêta brusquement. Quelque chose dans la physionomie de son interlocutrice lui déplaisait fortement. Pourquoi était-elle si petite ? Et que se cachait-il sous ses bandages ? Peut-être avait-elle trois yeux, voir qu'un seul ?
Retirez immédiatement ce truc que vous avez sur les yeux, ordonna t-elle.
Je ne préfére pas. Vous risquiez de vomir votre déjeuner si vous les voyez, répondit Maefa avec une assurance nouvelle.
J'en prend mon entière responsabilité, rétorqua t'elle, bouleversé par le son cristallin de cette frêle voix.
Très bien.
Avec une infinie délicatesse, elle hota le bandage qui dévoilà deux yeux fermés, mais parfaitement normaux. Péniblement, elle ouvrit son oeil droit qui était d'un bleu parsemé de taches noires. « Pas étonnant, pour une sorcière maléfique » pensa Marcia. Puis avec encore plus de difficultés, elle ouvrit le second, qui était d'un jaune effrayant, mais qui était aussi tacheté.
Mais !
Celui-là, déclara Maefa avec malice en désignant l'oeil jaune, je l'ai arraché à une bête sauvage après qu'il m'ait bousillé le mien. Donnant-donnant.
Elle le frotta de façon à ce qu'il s'ouvre bien en entier, mais sans trop de succès.
Et celui-ci …
« Oh non, pensa Septimus, ne me dites pas qu'elle l'a arraché à une sorcière de Wendron ! »
Bingo, apprenti ! Tu as deviné !
Elle aimait bien la Tour du magicien, car ses pouvoirs y était renforcés. Ainsi, elle n'avait pas besoin de plaquer sa main sur le front des gens pour lire leurs pensées. Elle entendait le flot perpétuel des pensées, des doutes, des interogations de tout ceux qui l'entouraient. Elle était dans son élément. Elle savait garder le meilleur, l'essentiel de l'information, parmis tout ce qu'elle entendait. Ainsi, elle apprit tout ce qu'elle avait besoin de savoir sur Marcia Overstand et Septimus Heap, son apprenti. Et elle avait déjà choisi celui qui serait le sien.
Comme tout le monde regardait Maefa Sweet et Septimus à tour de rôle, la jeune fille aux yeux vairons déclara, profitant que toute l'attention était portée sur elle :
Je cherche un apprenti. Ca intéresse quelqu'un ?
Sortez d'ici immédiatement !
Oh ! Vous pouvez me tutoyer vous savez, je ne suis qu'une enfant.
Vous ètes suffixe magistral ! Il est évident que vous nous voulez du mal !
L'oeil jaune eut un pincement hostile tandis que le bleu luisait de colère. Mais la voix de la jeune fille laissa paraître une toute autre émotion.
Oh ! Je suis navrée que tout le monde pense que nous sommes méchants. Mais c'est faux ! Les suffixes sont comme vous, Marcia Overstand.
La magicienne extraordinaire ne put réprimer un hoquet de surprise lorsqu'elle entendit son nom. Comment cette odieuse gamine en avait-elle pris connaissance ?
Ce sont les magistrats qu'il faut haïr. Ils n'aiment rien d'autre qu'eux même. Il est vrai que certains suffixes sont peu scrupuleux, mais feu mon maître Rogonante et moi même sommes dignes de confiance.
» Nous sommes venus au Château dans le but de récuperer un manuscrit, et c'est en tentant de le sceller que mon maître Rogonante mourut. J'étais là à ce moment là, et je puis confirmer qu'il voulait le sceller pour protéger les sans-pouvoirs de sa puissance maléfique.
« Les sans-pouvoirs ? C'est ainsi qu'elle nous désigne ? » pensa Marcia. Elle fit signe à Septimus qui semblait captivé par la nouvelle suffixe. Il leva les yeux vers la magicienne extraordinaire, et elle put lire dans ses prunelles vertes une fascination sans égale.
Qu'allons nous faire, Marcia ? Elle est plus forte que nous deux réunis, n'est-ce pas ?
Je sais. Mais je ne la laisseras pas te prendre.
Ce n'est pas moi qu'elle veut.
Comment cela ?
Elle sonde mon esprit depuis tout à l'heure, et j'ai l'impression qu'elle cherche Simon.
Mais comment peut-tu en être sûr ?
Parce que lorsque je fouille, je n'y vais pas avec délicatesse, rétorqua Maefa Sweet.
Elle s'était rapprochée d'eux. Son oeil jaune se promenait des botinnes en python de Marcia à un jeune magicien ordinaire rondouillard tétanisé. L'oeil bleu fixait Marcia avec une haine non dissimulée. Mais encore une fois, la voix de Maefa Sweet semblait contre son apparence :
Il a raison. C'est bien Simon Heap que je veux, ajouta t'elle.
Devant l'air interloqué de Marcia, qui regardait tour à tour son apprenti et l'intrigante suffixe, elle répondit :
La Magyk noire est beaucoup plus facile à exorciser que la Magyk commune.
Sur ses mots que nul ne comprirent, pas même les plus vieux fantômes présents, Maefa Sweet fit demi-tour et réactionna à nouveau la porte et la referma, comme s'il n'y avait jamais eu une once de Magyk dans l'entrée de la Tour du Magicien.